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[Dossier] Art et Jeu de Société

Introduction

Dans ce dossier, Kurts, Cyrus, Le Pionfesseur et Élodie parlent, sous différents angles, de la relation entre l’art et le jeu de société.

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Retour sur les commentaires du dossier précédent


Le dossier précédent était consacré au fait de « Rejouer ». On en reparle rapidement, et vous pouvez consulter les commentaires relatifs à cet épisode ici.

La représentation du jeu dans les arts

Kurts entame ce dossier en passant en revue les différents arts et en analysant leur représentation du jeu de société.

Peinture et Arts Visuels : Le Jeu comme Représentation Sociale

Pieter Bruegel l’Ancien, Les Jeux d’enfants
Le Caravage, Les Tricheurs

Littérature : Le Jeu comme Métaphore et Dispositif Narratif

Cartes gardes, dans Alice au pays des merveilles
Stefan Zweig, Le joueur d’échecs

Théâtre : Le Jeu comme Métaphore du Pouvoir

Eugène Ionesco, Le roi se meurt
Tom Stoppard, Rosencrantz et Guildenstern sont morts

Musique : Quand le Jeu Inspire les Mélodies

Kenny Rogers, The Gambler

Astéréostypie, Uno

Cinéma et Séries Télévisées : Une Narration Inspirée du Jeu

 

Vincenzo Natali, Cube
Albertus Pictor, La mort jouant aux échecs. Le jeu qui a inspiré la peinture…
Ingmar Bergman, Le septième sceau. Qui a inspiré le film…
John McTiernan, Last action hero. Qui est ensuite parodié

Stranger Things et la Perception des Jeux de Rôle

 

 

Un article (en anglais) sur la Satanic Panic des années 1980.

Supernatural et l’Épisode Cluedo

La bande annonce de l’épisode.

Le Film Cluedo : Une Adaptation Culte

Jonathan Lynn, Clue (Cluedo en français)

 

Le jeu de société est un art

Notre équipe du soir va tenter de démontrer que le jeu de société est un art.

La patte des auteurs

Cyrus a choisi de s’appuyer sur les auteurs et autrices, celles et ceux qui créent les jeux pour avancer un argument de la nature artistique du jeu de société.

Dans cette chronique, il évoque son travail avec Le Pionfesseur autour du format Sortons le Grand Jeu réalisé pour Proxi-Jeux, dans lequel une rubrique est consacré aux auteurs et autrices du jeu mis en avant.

Qu’est-ce qu’une « patte d’auteur » ? Et qu’est-ce que cela dit de l’auteur et de l’œuvre ?

Autres preuves de la nature artistique du jeu

L’équipe discute des éléments qui sont à même de montrer que le jeu de société est un art.

Ensuite, un échange collégiale sur les Autres éléments qui montrent que le jeu est un art

Ci-dessous, quelques exemples d’affiche ghanéenne de films dont il était question dans l’émission.

 

Style et figure de style

Le Pionfesseur tente une délicate figure pour définir ce que pourrait être une figure de style au sens du jeu de société. Il expose ainsi pas moins de 3 théories envisagées !

La liste des exemples cités en figure de style :

  • À l’échelle des valeurs
    • Exagération : Le symbole infini dans Shards of Infinity
    • Remplacement : Le 0 ou le X2 dans Flip7
    • Remplacement : Les Points de Vie qui s’appellent « Humanité » dans Vagrantsong
    • Inversion : Le Noble à Saint Pétersbourg qui fait perdre des sous
  • À l’échelle des règles
    • Exagération : Les jeux à mort subite / victoire immédiate (cf ce hors-série)
    • Remplacement : Les cartes événement aux Charlatans de Belcastel
    • Remplacement : Le fait de ne pas remélanger son deck dans Aeon’s End
    • Inversion : Faire tous les plis à la Dame de Pique
    • Inversion : Les vautours de Stupide Vautour
    • Déplacement : Piocher en fin de tour dans Shotten Totten et Les Cités Perdues
  • À l’échelle d’un élément
    • Exagération : L’Ange de Platine à Magic
    • Remplacement : L’Excuse au Tarot
    • Inversion : Le Tanneur à Loup-Garou pour une Nuit
  • À l’échelle d’une mécanique :
    • Exagération : La pose d’ouvrier baroque d’À la Gloire d’Odin
    • Remplacement : L’allégorie qu’implique le deck-building d’A Few Acres of Snow
    • Remplacement : La mécanique de remélange des cartes de Pandémie
    • Inversion : Château de Fable (anti-deck-building)
    • Inversion : Lux ou Pikoko (jeux de plis où on voit l’inverse de d’habitude)
    • Combinaison : The Crew (jeu de plis + coopératif)
  • À l’échelle d’une dynamique :
    • Exagération : Twilight Imperium ou 504
    • Remplacement : Les enchères bizarres de Coloretto
    • Inversion : Non Merci (inverse d’une enchère), Jekyll vs Hyde (logique très différente des jeux de plis)
  • À l’échelle d’une mise en scène :
    • Exagéaration : Ciao Ciao et son pont suspendu

Liens entre le jeu de société et les autres arts

Élodie, nous montre les Liens entre le jeu de société et les autres arts.

Conclusion

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39 nombreux commentaires pour [Dossier] Art et Jeu de Société

  1. Pour la chronique de Kurt, un très bon film des années 80, qui est un livre à la base, War Game, (je vous invite à regarder l’épisode de Crossed sur Youtube où Karim Debbache en parle 1000 fois mieux que moi) dans lequel le jeu du morpion a une grande importance pour la résolution, et ce fini sur la phrase « et si on faisait une partie d’echec ? » 😉

    1. Oui, wargame, avec le tout jeune Matthew Broderick, un classique du film de SF d’anticipation.
      Et un super exemple pour parler de l’utilisation du tic tac toe dans un film 🙂

  2. Dossier au thème fascinant , vos angles sont très intéressants à suivre.
    Je n’en suis qu’à la moitié mais je vous lache ma réflexion : A votre avis , dans le jds, l’œuvre d’art est-elle la règle du jeu , la boîte de jeu ou la partie de jeu ?

    1. Dossier incroyable, du grand art *rires enregistrés nuls*
      Juste deux remarques car épisode parfait sinon
      1 – moi j’aime bien les Jumanji récents, y a eu mille fois pire en remake/reboot
      2 – ma représentation préférée du jeu de rôle c’est pas Stranger Things ou Community et encore moins Big Bang Théory que je trouve honteuse comme série
      Dans the IT crowd on suit la vie d’une petite équipe de support informatique. C’est très british et très drôle. Un des protagonistes se sert de Donjons et Dragons pour guérir son collègue d’une rupture, c’est juste une Master classe

      1. Merci Erwik, il ne faut pas prendre ce que je dis sur certains films pour une vérité universelle.
        J’ai juste tendance à être vite fâché avec certaines suite de film, il ne faut pas s’en formaliser 😉 (par exemple il n’existe que 4 star wars, 1 l’arme fatale, 3 Indiana Jones, et donc 1 jumanji 🙂 ) C’est mon côté « vieux con / arrêter de toucher au films de ma jeunesse » qui parle, il ne faut pas toujours l’écouter 😀

        Bien sûr que la représentation dans IT crowd est fantastique, malheureusement je ne pouvais (voulais) pas être exhaustif, et j’ai pensé que stanger things parlerait à plus de monde …

  3. « La Vie devant nous » était une sorte de « série dont vous êtes le héros ».

    Diffusée sur TF1 entre 2000 et 2002, cette série avait une particularité interactive : à la fin de certains épisodes, les téléspectateurs pouvaient voter pour influencer le déroulement de l’intrigue dans les épisodes suivants. Les choix proposés concernaient des décisions importantes prises par les personnages principaux, souvent liés à leur vie sentimentale ou leurs dilemmes personnels. L’épisode suivant était ensuite tourné en fonction du choix majoritaire exprimé par les téléspectateurs.

  4. Une autre réflexion m’est venue à l’écoute quand vous parlez de divertissement. Je me demande si l’œuvre d’art ne doit pas aussi contenir un propos, une intention. Sinon ce n’est que du divertissement, non ?

    Dans les autres formes d’art (ex : littérature, cinéma ) , je pense qu’on peut trouver des œuvres qui ne sont que du pur divertissement (ex : SAS, Fast & Furious) , d’autres qui sont des œuvres avec un propos plus ou moins prononcé (ex : les Misérables, Jurassic Park)

    Dans le même ordre d’idée , tous les jeux de société sont ils des œuvres d’art ? (dans la mesure où ils ne portent pas tous un propos, ni une patte d’auteur …)

    1. Dans Fast ans Furious, il y a clairement un propos qui est assumé et martelé à longueur de films. La communication est totalement centré sur ce propos. Il devient omniprésent et central après l’échec du 3e opus et la main mise de son acteur principal à partir du 4. Il devient même totalement meta en exploitant la mort d’un des personnages principaux du film puis la famille de ce même acteur.

  5. Pas d’accord.
    Dans les divertissements, particulièrement ceux que tu cites, il y a message, une vision de la société.
    Comme dans un jeu, il y a beaucoup de messages, conscients ou non.

    1. Ok il y a a minima un point de vue sur la société dans toute œuvre. Toutefois , on est d’accord que c’est à des degrés divers et que l’intention dans un propos , des multiples niveaux de lecture n’est pas la même dans toutes les œuvres.
      J’aurais du mal à qualifier le dessin de ma grand mère, ou les peintures d’un artisan qui reproduit des trucs pour IKEA d’œuvres d’art…
      S’il n’y a ni intention ni propos , et que le récepteur n’en prête ni attention ni analyse , ou est l’art ?
      Donc je vous pose la question : « dans un art donné, est-ce que toute œuvre est une œuvre d’art ? »

  6. Le jeu de société est un art et est politique.
    Il serait intéressant de pousser le truc + loin en lisant les messages politiques (au sens large que vous utilisez) dans différents jeux.
    Exemples dont j’ai parlé ici:
    1) animaux
    – majoritairement enfermés ou à capturer
    – « disney-isés », tout beaux tout gentils.
    Très peu de #j2s montrent des animaux réalistes.
    2) les relations déséquilibrés entre les nations.
    L’exemple des oeuvres mayas trouvées au Pérou exposées en Angleterre.

    Il y a sûrement beaucoup d’autres sujets.
    Le but n’étant pas à mon avis de dénigrer certains jeux mais de verbaliser les messages, conscients ou non, et éventuellement leur évolution.

  7. Martin Wallace serait le Charles Dickens du jeu de société : un œil critique sur l’industrialisation, des récits profondément ancrés dans les réalités sociales, et cette capacité à construire des mondes aussi rugueux que fascinants.

    Cathala Bruno serait le Quentin Tarantino du J2S : il pioche dans mille influences, bricole des hommages, et arrive toujours à retomber sur un style personnel, vif, avec des éclats de génie imprévisibles.

    Inka Brand (du duo Inka & Markus Brand) serait la Sophie Calle du J2S : une touche personnelle, intimiste, et une capacité à faire vivre des expériences narratives où le joueur devient presque acteur de sa propre histoire.

    Vlada Chvátil serait le Charlie Chaplin du J2S : derrière l’humour et l’apparente légèreté de ses jeux, il y a toujours une intelligence de construction incroyable et une réflexion sur les mécanismes d’interaction humaine.

    Reiner Knizia serait le Bach du J2S : des structures d’une rigueur mathématique, une élégance absolue, et une influence qui traverse les générations.

      1. et vlaadaa chvatil en franck zappa ?, du génie dans (presque) toutes ses sorties du plus « commercial » au plus ampoulé (allez, j’arrête ;))

  8. Sans intention / propos du créateur ; ni attention / émotion particulière du récepteur, n’est-on pas juste en présence d’un objet culturel et non d’un objet d’art ?

  9. @lepionfesseur regarde les travaux de Ludii pour les figures de style et toutes les classifications possibles. Cela permet d’appuyer la taxonomie des jeux sur une ontologie : https://ludii.games/ludemeTree.php

    c’est du sérieux, c’est fait par l’université de Maastricht, Department of Advanced Computing Sciences (DACS) et il y a eu plusieurs financements européens associés à ces travaux : http://ludeme.eu/index.html

    En découle un outil de programmation de jeux abstraits sur lequel on peut brancher plusieurs moteurs de jeu : https://ludii.games/library.php

    Mais c’est limité au jeu abstrait.

    Pour un exemple d’ontologie en biologie : https://www.umrh.inrae.fr/ontologies/visualisation/public/

    :

  10. Merci pour ce super dossier !
    Pour la première partie, en effet, c’est impossible d’être exhaustif sur un tel sujet mais je voulais ajouter quelques ref qui me font plaisir 😉
    en peinture : les nombreux joueurs de cartes (coolidge, botero, cezanne)
    en chanson : Renaud, « si t’es mon pote » (le scrabble)
    au ciné : « face à face » mythique partie d’échec, « le théorème de marguerite » sur le mah-jong !
    en série : l’épisode flippant du flipper dans ulysse31 (un peu loin du j2S mais c’est un trauma, il faut que ça sorte), et plus récemment l’excellente mais barrée série « sunny » (apple+) avec du shogi
    À bientôt !
    et enfin la réjouissante « vox machina », sur prime, qui est l’adaptation de la table de JDR sur You Tube, critical role

    1. Merci pour tout ces exemples qui montrent à nouveau à quel point le jeu de société (et le flipper, pourquoi pas 😀 ) est présent et à inspiré les autres arts 🙂

  11. Je crois comme Elodie et LePionfesseur que le jeux de société fait partie des arts vivants au même titre que le théâtre, l’opéra et la danse. La comparaison la plus intéressante selon moi est certainement avec le théâtre. En effet nous avons un texte fixe, la règle, qui peut connaître des interprétations les règles maison dans le jeu. Il peut connaître différentes mise en scène ce qui correspond aux différentes éditions et même des mises en scène punk que seraient les émulations. Tout comme le théâtre, la pièce n’existe réellement qu’une fois jouée et chaque représentation est unique, ce qui correspond aux parties jouées, elles aussi uniques et pourtant semblables. Bien sûr certaines pièces de théâtre ne sont pas faites pour être jouées trop écrites et avec trop de décors tout comme certains jeux ne sont pas faits pour êtres joués. Mais ces cas limites ne concernent qu’une partie de la production. De même il existe des pièces de théâtre sans textes ou qui se basent sur de l’improvisation, pour l’improvisation on voit très bien ce que c’est dans le jeu, par contre les pièces qui sont juste des mises en scènes comme par exemple ce que fait Roméo Castellucci sont peut-être plus difficiles à cerner pour moi mais je ne m’inquiète pas, ceux qui ont une grande culture ludique trouveront. Encore une fois ce sont des cas extrêmes. L’autre comparaison c’est ce rapport entre le texte et son actualisation. Les lettreux comme les appelaient méchamment mes amis qui étaient en étude de théâtre, croyaient connaître une pièce en analysant son texte. Or le texte n’est qu’un état transitoire de la pièce, la pièce est le moment où elle est jouée. Certes j’en ai une idée en lisant le texte mais je n’entrevois que ses potentialités et qui sont bien souvent limités par mon imagination. Et ce qui est compliquée c’est que chaque fois que la pièce est montée par une troupe, cette nouvelle interprétation demande une nouvelle analyse, un nouveau jugement critique. La pièce est vivante. De plus c’est par commodité qu’on accepte que l’interprétation qu’on a vu une fois correspond à toutes les autres ce qui dans les faits est faux. Une actrice ou un acteur ne donne pas tous les soirs la même chose ni les techniciennes ou techniciens. Cette fugacité est énervante pour l’analyste mais elle est le prix de la beauté de l’aspect unique de la représentation. C’est la même chose pour un jeu de société. Chaque partie est unique et l’approche même du jeu est changeante selon ses interprètes ou plutôt joueurs. La règle donne les mécaniques mais ne dit rien des dynamiques. C’est bien souvent la conclusion des Le Pour Et Le Contre qui au delà de l’analyse très fine que produit la confrontation des points de vue, se terminent souvent avec des adversaires qui finissent d’accord sur ce que propose le jeu mais ne ressentent pas, n’interprètent pas le jeu de la même manière. La différence majeure entre le théâtre et le jeu de société c’est que les acteurs jouent pour eux, le plus souvent sans public extérieur. Il n’y a pas de représentation publique mais une partie privée. Comme si on en restait au stade de la répétition et que ce qu’elle avait apporté aux acteurs était suffisant. Le seul plaisir extérieur serait celui qu’ont les éditrices et les éditeurs et celles et ceux qui ont participé à son élaboration à voir les joueuses et les joueurs s’emparer de leur mise en scène et des autrices et auteurs à la mise en application de leurs règles lors d’événement publiques. Bien sûr je n’oublie pas l’aspect collectif de la mise en scène, il y a les décors, les costumes, la lumière, le son qu’organise la mise en scène qui sont des pôles tout aussi créatifs et dont on retrouve des équivalents dans le jeu de société. Comparaison n’est pas raison et je ne peux rendre complètement compte du jeu de société avec le théâtre. Mais elle est, il me semble une comparaison plus riche pour nos analyses du jeu de société que celles qui tendent vers des arts fixes que sont le cinéma, la littérature, la bande dessinée, la peinture. Dans le cas de ces œuvres il n’y a pas besoin de performance pour que l’œuvre existe. Un film, un livre, une bd ou un tableau sont toujours les mêmes (parfois des versions différentes d’une même oeuvre existent je l’accorde aux plus pointilleux d’entre vous mais cela reste marginal dans la réception). Cette comparaison explique aussi dans un sens bien des discours sur les joueurs et à quel point ils font le jeu de société. Mais c’est un autre chantier de réflexion.

    1. Je souscris globalement à tout ce que t’as dis ici mais je voudrais souligner une erreur à mon sens dans ton analogie avec le théâtre : les acteurs du théâtre ce ne sont pas les joueurs du jeu de société.

      Il faudrait plutôt filer la métaphore ainsi :
      – Les acteurs du théâtre c’est le matériel dans le jeu de société (ils sont mis en scène pour exécuter l’oeuvre)
      – Le public au théâtre c’est les joueurs de jeu de société (c’est les spectateurs de l’oeuvre, ceux qui se la prennent dans la tronche)
      – Les metteurs en scène au théâtre c’est les joueurs de jeu de société aussi (c’est eux qui décident comme va s’exécuter l’oeuvre, c’est d’ailleurs une grosse différence avec les jeux vidéo, bien que dans ces derniers on sait bien qu’il existe toute la communauté du modding qui permet de changer cette donne)

      Du coup les joueurs ont cette double casquette dans les jeux de société de devoir décider de l’exécution et en même temps d’être le public.
      Cependant ça se fait rarement en même temps : on décide généralement à l’avance comment on va jouer (quelles variantes on utilise, quels extensions, quelle mise en exécution particulière …) et ensuite dans un second temps on joue, avec quelques interruption pour annuler un coup ou arbitrer la manière dont on va corriger une erreur de règle.

      Le jeu de rôle est déjà plus intéressant et plus clair dans cette analyse puisque le MJ a la responsabilité de la mise en scène alors que les joueurs sont clairement purement spectateur et n’arbitrent rien (oui je sais, ya plein de JdR plus modernes qui changent cette donne, je prends le cas simple).

      En fait faut juste faire gaffe à pas confondre le fait d’être acteur au théâtre et acteur dans un jeu de société, les premiers sont des sortes d’exécutants qui transmettent une oeuvre au public, les seconds manipulent l’oeuvre afin d’en être spectateur.
      Mais peut-être que tu avais en tête le fait que les joueurs prennent des décisions au cours d’un jeu ? Franchement là je pense que la métaphore marche plus du tout, c’est vraiment trop spécifique au jeu d’avoir les spectateurs qui agissent sur l’oeuvre et je pense pas qu’on puisse trouver d’analogie pertinente sur ce point.

      Et sinon moi je pense que la musique est aussi un art proche des jeux de société, dans ma tête c’est souvent avec le théâtre les deux arts les plus proches pour moi. Et particulièrement parce qu’on y dégage souvent une « sensation pure » et non pas une transposition dans un univers. Du moins jeu et musique sont vraiment les deux arts où « sensation » et « transposition » semblent être représentés à égale mesure. Bruno Faidutti disait que les jeux de société était à mi-chemin entre les mathématiques et la littérature. C’est une autre manière de le dire.

  12. Je n’ai pas encore écouté l’intégralité du dossier, néanmoins j’aimerai réagir sur deux chroniques dès maintenant.

    A propos de celle de Bartouf que j’ai trouvé très enrichissante. Ce qui m’a interpellé est plutôt son intervention un peu plus tardif quant à fait que ça chronique était là pour démontrer que le jeu est un art.
    Or je ne comprends pas le lien. Est-ce que le fait simplement que le jeu soit présenté/intégré dans d’autres arts qui justifie que ce soit un art ? Alors que devons nous faire de la nourriture/cuisine ou tout autre élément suivant les mêmes caractéristiques ?
    Autant je comprends que cette chronique démontre l’importance du jeu dans nos sociétés mais je ne comprends pas comment elle démontre que le jeu est un art.
    Si l’un d’entre vous peut m’éclairer je suis preneur.

    L’autre chronique est celle de Cyrus qui explique la patte de l’auteur comme argument à l’art. Il me semble que cet argument est mal utilisé. Car chaque femme ou homme a sa propre perception du monde et de ce qu’il lui est important en fonction de son vécu et ce qui l’entoure. C’est à dire qu’à partir du moment où quelqu’un fait quelque chose il y a inévitablement son vécu, ses perceptions, ses goûts, ses intérêts qui entre en jeux (c’est ce que l’on peut appeler la patte de l’auteur). Néanmoins cela ne s’applique pas uniquement à la création, chaque personne fera un jardin différent chez lui, chacun cuisinera un plat différemment (en salant plus ou moins, ajoutant ou non une épices, remplaçant un légume par un autre) et cette patte de l’auteur n’est donc pas spécifique à l’art ou la création, c’est juste du au fait que nous sommes différents avec des perceptions/des névroses différentes.
    Pour revenir à l’idée du jardin, il existe des jardins dont il est possible de connaitre celui qui l’a aménagé juste en le regardant (pour les paysagiste connus). Il en va de même pour la cuisine. Pour pousser plus loin si l’on connait bien un maçon ou un câbleur il est aussi possible de distinguer son travail.

    En fait chaque acte qui ne passe pas par une interface de standardisation (comme l’informatisation, des procédures de sécurité…) est soumis à ce que l’auteur de l’acte en fait. Et si cet acte est répété il y a toute les chances pour que l’on y trouve « une patte » sans pour autant parler d’art.

    Je reviendrai vers vous à la fin de mon écoute si j’ai d’autre chose à ajouter.

    1. On parle de moi ?
      Bon trêve de plaisanterie.
      Merci de ton retour et d’avoir trouvé ma partie enrichissante.
      Son but n’était pas de démontrer que le jds est un art, juste de montrer à quelle point il est important au point d’être une source d’inspiration pour les arts déjà en place.
      Ensuite, et là je parle à titre personnel, j’estime que le jds est un art, et c’est sans doute pour ça que je dis à un moment que les arts inspirent les arts, comme le démontre ma chronique 😉

    2. La question pour que ça soit un indice de l’art c’est surtout : est-ce que cette patte d’auteur on en a quelque chose à faire ?

      Quand j’utilise mon robinet, j’espère surtout qu’il me fasse couler de l’eau comme j’en ai envie, je me fiche bien du style du plombier qui l’a fabriqué / réparé. C’est avant tout fonctionnel.

      Quand je regarde un film, l’essentiel pour moi c’est de ressentir ce que l’artiste a mis dans cette oeuvre, donc là je regarde à fond son style. C’est avant tout esthétique.
      Bon note bien que ça c’est l’approche qui suit la politique des auteurs, c’est une approche critique et il y en a d’autres.

      (d’ailleurs pour le paysagiste, on est un peu dans un rapport esthétique, d’ailleurs quand je regarde la définition de « l’architecture de paysage » c’est « l’art de la conception de paysage »)

  13. Elodi, pour les arts dans le jeu de société :

    Photographie : Redwood et Aya
    Cinéma : show manager
    TV : Thunderbirds
    Poésie (Théâtre) : Black sonata
    Littérature : De vulgarisation Eloquentia
    Architecture : opération archéo, Drunter & Druber (ça c’est de l’urbanisme !), château de fable, Bruxelles (les 3 jeux), Keops, Tal der Könige, Agora Barcelona, Medina, Carcassonne la cité, Keythedral, Turquoise, Cosmopoly etvMegapoly
    BD : Corto
    Musique : katzenjammer blues
    Sculpture : monstro folies
    Peinture : kanagawa, codex naturalis (enluminures)

    Regarde aussi Via Vitae… Je ne sais pas où le classer

  14. Ce dossier est beaucoup trop long, pour l’écouter à coup de petit trajet de voiture !

    Je suis dans la chronique du pionfesseur, qui insiste sur l’intention d’une/d’un artiste à créer pour faire ressentir une émotion. Je regrette de devoir me porter en faux encore une fois. Il existe de nombreux témoignages d’auteurs/autrices de livre qui expliquent que leurs livres s’écrivent indépendamment d’eux. C’est à dire qu’ils sont le réceptacle et l’outil de transmission de leur histoire mais que cette dernière n’est pas pensée et réfléchie avant d’écrire.
    J’entendais il y a peu à la radio une autrice connue qui racontait avoir commencé un roman avec une idée en tête. Malgré cela au fil de l’écriture l’idée initiale a été remplacé par ce que l’histoire avait à raconter comme si l’histoire avait sa vie propre.
    Ces témoignages sont courant dans la littérature et je pense que l’on peut en trouver des similaires dans la musique ou la peinture.

    Cela ne signifie pas que tous les artistes ont ce fonctionnement. Pour certains artistes, il y a quelque chose en eux qui demande à sortir sans que ce soit conscientisé. Cela montre que pour certains artistes la recherche et la transmission d’une émotion en particulier n’est pas le but.

    1. Voilà j’ai retrouvé le nom de l’autrice : Christine Angot dans une interview du 25 mars 2025.

  15. Encore de retour, à propos de la chronique du pionfesseur. J’aime bien l’idée des figures de style et du coup je me questionne sur la qualification des figures de styles. En littérature une figure de style est utilisée pour faire passer un message, par exemple répéter plusieurs fois la même chose pour transmettre l’idée de monotonie/de répétition/d’usure du quotidien… Ainsi la figure de style en littérature complète le texte par un effet littéraire qu’une phrase standart ne peu pas transmettre.
    Dans le jeu de société s’il est possible de définir des figures de style, que permettent elles ? Ou dans l’autre sens par exemple : qu’est ce qui dans un jeu peut donner une sensation d’envahissement/de débordement ? Et est-ce que l’effet utilisé dans ce jeu est réutilisable dans d’autres jeux pour un effet similaire ? Finalement dans le jeu de société qui est assemblage de beaucoup de chose (dessin, écriture, matériel, règle…) est-ce que simplement l’un des éléments constitutifs du jeu (le design graphique par exemple) ne jouerait pas le rôle de figure de style, ou bien est-ce que les « figures de style » sont simplement inutiles par la diversité des supports possibles du jeu (il n’est donc pas nécessaire d’ajouter un effet particulier car la conception du jeu compense l’absence de figure de style) ?

    Je n’ai aucune réponse, seulement un questionnement qui ressort des propos du pionfesseur.

  16. Très bon dossier foisonnant, mon plus grand regret c’est qu’il faut du temps pour l’écouter et que j’arrive très tard dans les échanges 🙂
    Non plus sérieusement, je pense que toutes vos chroniques allaient dans le même sens et qu’il aurait été bienvenu d’avoir un peu de contradiction. On le voit au volume de commentaires ici et d’interventions sur Discord, il y avait matière à débattre un peu plus. Je ne parle pas de remettre en cause frontalement l’aspect artistique du jeu (sans surprise, tous vos auditeurs et auditrices y souscrivent d’une façon ou d’une autre), mais au moins de cerner les limites de l’exercice, de discuter ce qui ne rentre pas bien dans les cases, etc.

    Plus spécifiquement sur la chronique à propos des figures de style (j’adore les taxonomies aussi 🙂 ) j’ai été étonné que vous ne parliez pas du tout des jeux Legacy, qui par nature cherchent à provoquer des sensations inédites en remplaçant, inversant, accumulant du matériel, des règles et donc des dynamiques au fur et à mesure des parties. (Si déchirer une carte sous prétexte qu’elle a été associée à un événement négatif ce n’est pas une hyperbole je ne sais pas ce que c’est.)
    Et à mon sens ils répondent également à une question posée en fin de chronique : à force d’user de certains tropes, les Legacy ont fait rentrer dans les codes usuels du jeu des choses qui au départ étaient en décalage avec les attentes des joueurs et des joueuses, comme par exemple personnaliser son matériel ou ne pas avoir accès à tout dès la première partie.

    1. Je trouve ton retour sur la contradiction et les limites très pertinent. Pour moi, c’est le principal défaut chez proxijeux lors des dossiers. Les interventions bien que recherchées et étayées peuvent manquer finalement de pertinence parce qu’il reste un sentiment de oui mais …

  17. Super émission, vraiment, un régal à écouter, comme souvent. Il manque juste un petit peu de Popcorn, et je dis pas ça parce que je connais l’auteur haha !

  18. Je n’ai écouté que la chronique de Kurts pour le moment. Pour la musique classique et les jeux, peut-être que c’est la Symphonie des Jouets que vous cherchiez ? De Mozart père (papa de Wolfgang). Toujours jouée aujourd’hui, avec des bruits émis par des jouets dedans (jouets de l’époque, pas ouf donc).
    Dans la musique contemporaine, il y a sans doute foison d’exemples mais par principe, peu traverseront les âges. Je viens de tomber sur « Jeux de société : les cartes », composée par Anne Castex, pour accordéon et percussions. Ce titre suggère-t-il qu’il y en aura d’autres dans la série, genre « Jeux de société : les kubenbois »?

  19. Au fait j’ai failli oublié, le Pionfesseur fait référence à une BD où ils jouent à Root, il s’agit de la BD Cendre et Hazel de Thom Pico et Karensac qui est prépubliée dans le magasine Manon et édité sous forme relié chez BDkids. Dans Le grand bain des Capybaras (qui se trouve dans le tome 4) deux personnages s’affrontent à coup de jeu de société car il est interdit de faire des duels de magie dans les thermes à la japonaise où elles se trouvent. Duels succéssifs : toupies, croquet, jeu de l’oie, pétanque, JCC, billes et pour finir Root. Sauf que le jeu est titré Racine et qu’elles ont du mal avec les règles (de manière ironique il est écrit que les règles consultées sont le volume 6). Ce qui est amusant c’est que le jeu type Magic ne semble pas poser de difficultés. Le visuel est sur le Discord.

  20. Sympa le petit quiz Cyrus. En musique, beaucoup de compositeurs ont clairement leur patte. Avec un peu d’entrainement, il est parfaitement possible de trouver le nom du compositeur d’une musique pourtant jamais entendue. Parfois c’est simplement un enchaînement de quelques notes qui vaut subtile signature. La plus évidente que je connaisse est celle de James Horner (mi/fa/fa#/fa et ses transpositions). Un musicologue lui a même donné un nom : le motif du danger. On le retrouve au moins une fois dans quasi tous ses albums (musiques de films). Sans doute repris de Wagner puis Rachmaninov. A interpréter comme une transfiguration de leur art ?

  21. Merci beaucoup pour cette émission encore très riche et éclairante !

    En écoutant votre dossier sur le sport et le SLGJ sur le Molky j’avais eu envie de proposer une définition du sport comme un croisement entre différents arts. L’excellente chronique d’Élodie me motive à développer cette idée.

    Au début, comme Élodie, je pars de l’idée que les arts se définissent et se distinguent par les parties du monde qu’ils esthétisent. Le jeu c’est l’art de l’action, l’activité qui esthétise le fait d’agir. Ça le distingue des autres arts et le rapproche du design, art de la fonction. C’est pourquoi je préfère parler de designer de jeu plutôt que d’auteur de jeu. Aussi, tous les arts ont des équivalents techniques, des activités qui s’intéressent aux même parties du monde mais qui valorisent autre chose que l’esthétique. Ce qui est important c’est la relation que le sujet développe avec le monde : esthétique ou technique, etc. Par exemple, la valeur qui intéresse les serious gameur n’est pas l’esthétique de l’action mais sa capacité pédagogique.

    Caractériser ainsi les arts me permet de mieux définir le sport, ce que vous aviez bien fait dans votre dossier mais vous n’étiez pas allé assez loin il me semble. Vous aviez gardé la notion d’effort physique pour caractériser le sport alors que je trouve que ce n’est pas du tout pertinent, on rentre alors dans des argumentations ridicules où on essaye de mesurer l’effort physique. D’un point de vue matérialistes, le corps et l’esprit sont considérés comme indissociables, toute activité est le fruit d’un « effort physique », toute activité engage le corps et l’esprit.

    Je propose de considérer le sport comme un art à la croisée de deux arts dans un contexte social particulier : croisement entre le jeu (art de l’action) et les arts du geste (danse, théâtre, jonglerie, mime, gymnastique etc.) dont la pratique est dominé par la compétition. Ainsi les jeux d’adresse, qui esthétisent l’action et le geste, peuvent être des sports à condition que leur pratique soit dominé par la compétition. Le Mölky est à la frontière parce que la compétition y existe mais n’est pas dominante, mais le jeu d’échecs ne peut pas être considéré comme un sport car il n’esthétise pas le geste. Par contre les jeux vidéo de compétition ou sports électroniques sont bien des sports car ce sont des jeux dont la pratique est dominé par la compétition et parce que ce sont aussi des arts du geste : la dextérité est toujours en jeu dans les jeux-vidéo d’e-sport.

    Pour revenir sur les caractéristiques de l’art, je ne pense pas que la notion d’auteur soit indispensable pour définir ce qui est artistique ou pas. Ce qui me semble indispensable c’est l’esthète, une part du monde qui développe une relation esthétique avec une autre part du monde. L’œuvre artistique est une partie du monde qui est saisie par la relation esthétique nouée entre l’esthète et le monde. Je suis donc en désaccord avec Le Pionfesseur pour qui « L’art c’est toujours un dialogue entre un auteur et son public ». Je suis aussi en désaccord avec Kurts quand il dit qu’il n’y a pas d’œuvre d’art sans objet issu de l’intervention humaine et qu’un paysage ne peut pas être considéré comme de l’art. D’une part ça isole et distingue trop l’humain du monde, alors qu’il n’en est qu’une partie. D’autre part, la dichotomie auteur-lecteur ou auteur-spectateur est très spécifique et particulièrement développé par une vision bourgeoise de l’art. Propriétaires des moyens de productions, les bourgeois revendiquent la pleine maîtrise du sens de la production (artistique ou pas), ils revendiquent le rôle d’artiste (celui qui donnerait sens à l’œuvre) ils sacralisent l’œuvre/marchandise. Inversement, ils dénigrent l’activité du consommateur/spectateur : le spectateur ne serait pas acteur dans la relation artistique, il ne produit rien, il ne ferait que se divertir, se détourner de sa fonction principale assignée par les bourgeois : travailleur. Cette dichotomie est un contexte social : le spectacle.

    Au contraire, je suis tout à fait d’accord avec Élodie, la puissance de l’esthète peut expliquer qu’une œuvre puisse se passer d’auteur ou échapper à son auteur. Dans la relation esthétique entre le monde-œuvre et l’esthète, l’auteur comme l’éditeur n’est plus acteur. L’œuvre, comme toute partie du monde, a sa puissance autonome et peut avoir librement des relations inattendues et fertiles avec d’autres parties du monde sans avoir à se référer à celui qui se revendique créateur. Le point de vue autoritaire, qui cherche à imposé l’intention de l’auteur, peut être pertinent d’un point de vue de l’histoire de l’art, de la sociologie de l’art ou d’une pratique esthétique très spécifique, mais une parmi d’autres.

    Comme le Pionfesseur, je trouve pertinent d’invoquer l’Internationale Situationniste et sa critique de la société du spectacle pour souligner la dimension politique intrinsèque du jeu. La société du spectacle c’est cette société capitaliste qui tend à rendre les personnes spectatrices de leurs vies. Marx et ses camarades anarchistes voient le capitalisme comme un rapport social issu des mondes de propriétaires mais qui en approfondi l’emprise, il dépossède les personnes des outils de production et s’immisçe dans le processus productif et in-fine dans l’intimité des personnes (redéfinies comme travailleuses) pour diriger leur vies afin de servir des intérêts qui leurs sont extérieurs et antagonistes : l’augmentation des profits, de l’emprise et de la concentration du capital. Les travailleurs consomment des choses qu’ils ne produisent pas, produisent des choses qu’ils ne consomment pas et ne décident même pas ce qu’ils produisent ni comment ils vont le produire. Même le choix de ce qu’ils consomment est soumis aux intérêts du capital. Les personnes sont spectatrices de leurs vies. Pour l’art, l’aliénation, le fait qu’une chose qui nous est propre devienne extérieur et nous domine, porterait sur la capacité esthétique des personnes.

    La danse illustre bien la possibilité d’un art à exister ou non dans le cadre du spectacle : danse de spectacle contre danse de bal (populaire ou pas), de boom, de boîte de nuit etc. qui sont des arts réalisés entre esthètes sans auteur ni spectacle. Le jeu de rôle peut être vu comme un variant du théâtre qui se débarrasse du spectacle et de la dichotomie acteurs/spectateurs. À minima l’auteur y a une autre place. L’origami aussi laisse peu de place au spectacle et à l’auteur, croisement entre art du geste et art du volume (sculpture), il se réalise dans l’acte même de faire et de refaire, l’esthète est appelé plieur. Les contextes sociaux permettent aussi de comprendre la différence entre un film (de cinéma) et un téléfilm ou entre un album et une symphonie etc. Ils esthétisent bien la même chose mais dans des relations sociales différentes, ils produisent donc des œuvres distinctes.

    Le jeu de société peut échapper au spectacle en mettant les personnes dans une posture active de sublimation de l’action. Mais le capitalisme en s’emparant du jeu de société cherche à le transformer en marchandise. Il le fait notamment en renforçant la dichotomie auteur/joueur quand il essaye de réduire la reproductibilité (ou l’émulation) des jeux, l’appropriation par les joueurs : monopoles d’exploitation (droits dit d’auteur, principalement aux mains des éditeurs), matériel spécifique et difficilement reproductible sans la maîtrise des outils de production (industrie), dénigrement des variantes (inversement : glorification des règles officielles) etc. Le jeu est alors un objet extérieur qui s’impose aux joueurs, une marchandise. Le jeu de société moderne serait-il un genre de jeu de société forgé par le contexte social capitaliste ? Le jeu dit « de société » et « moderne », ne pourrait-on pas le caractériser par deux contextes sociaux particuliers : ces jeux sont « de société » car leur pratique est dominée par la présence de la table de jeu et de la scène amicale ou familiale (ils échappent au spectacle et à la compétition) et « modernes » car leur existence est dominée par la boîte de jeu (matériel spécifique et règles incluses) ainsi que la mise en avant du dispositif éditorial (auteur, éditeur, illustrateur etc.) et la revendication d’un monopole d’exploitation ?

    Je trouve aussi intéressant de parler du jeu Loup Garou comme un jeu de société non-moderne (développé par la multitude, un auteur diffus, et très peu lié à un matériel spécifique) mais contemporain des jeux de société moderne et issue de la communauté des joueuses et joueurs de jeux modernes :

    – En 1986 à Moscou, Dimitry Davidoff conçoit Mafia dans un cadre pédagogique. Le jeu est massivement repris par les étudiants de son université.Puis le jeu connait une première diffusion commerciale (copyright revendiqué dès 1987 puis en 1992 et 1998 https://web.archive.org/web/19990302082118/http://members.theglobe.com/mafia_rules/)
    – Pendant 10 ans, de par sa simplicité, le jeu est largement malaxé par les joueuses et joueurs.
    – À partir de 1996 le jeu est organisé et formalisé notamment sur internet par Maffia SIG, association fondé à Londres par des hongrois en lien avec l’organisation élitiste Mensa https://web.archive.org/web/19990222110131/http://www.cab.u-szeged.hu/local/mensa/SIG/mafia/mafia.html
    – 1997 Re-thématisé en Werewolf par Andrew Plotkin lors de conventions de joueurs https://web.archive.org/web/19991006030347/https://www.eblong.com/zarf/werewolf.html
    – En 1998 de nombreux site web sont déjà consacrés au jeu https://web.archive.org/web/19991006030347/http://www.eblong.com/zarf/werewolf.html
    – En particulier, le jeu est approfondi et enrichi d’une multitude de rôles par les étudiants de Princeton réunis dans The Graduate Mafia Brotherhood of Princeton University https://web.archive.org/web/19990128231355/http://www.princeton.edu/%7Emafia/
    – Enrichi d’une application web dès 2000, consolidée en 2002 par Mafia Scum https://web.archive.org/web/20020718165444/http://www.mafiascum.net/about.html après une longue fermentation sur les forums https://wiki.mafiascum.net/index.php?title=History_of_the_game
    – Mars 2000 première apparition (archivée) sur Board Game Geek où il sera joué massivement en ligne pendant plus de 10 ans https://web.archive.org/web/20030606042253/http://67.105.64.226/viewitem.php3?gameid=925&sessioncount=0#SESSIONS
    – Début 2001 (mars ?) Bruno Faidutti présente le jeu sur son site web sous le nom Werewolf, il dit l’avoir découvert sur Internet et parle d’une douzaine de sites web consacrés aux jeu dont il donne l’adresse. Il ne mentionne pas d’auteur mais annonce une édition commerciale à venir, réalisée par Philippe des Pallières https://web.archive.org/web/20010306204616/http://faidutti.free.fr/jeux/articles/werewolf/werewolf.html
    – Avril 2001 Faidutti modifie son billet : il ne mentionne plus les 12 sites web dédiés au jeu et fait la promotion de l’édition de Philippe des Pallières et Hervé Marly https://web.archive.org/web/20010417012720/http://faidutti.free.fr:80/jeux/articles/werewolf/werewolf.html
    – Automne 2001 publication des Loups Garou de Thiercelieux https://web.archive.org/web/20010521002125/http://lesloupsgarous.free.fr/
    – Automne 2001 publication de Beest, variante de Werewolf rethématisé dans l’univers de The Thing de Carpenter évoqué sur BGG https://boardgamegeek.com/thread/649/preview et par Bruno Faidutti à son retour d’Essen 2001 https://web.archive.org/web/20020205120111/http://faidutti.free.fr/jeux/articles/essen/essen01.html
    – Décembre 2001 publication par Looney Labs de Are You Werewolf? offert comme cadeau de Noël à leurs fans https://www.looneylabs.com/holiday-gifts
    – Novembre 2002 publication par Davinci Games de Lupus In Tabula https://web.archive.org/web/20021015082956/http://www.davincigames.com/page_eng.cfm?menu=01_02
    – 2007 première édition par Bezier Games de Ultimate Werewolf qui compile énormément de rôles et de variantes. Aujourd’hui encore c’est la référence aux États-Unis.

    On le voit, comme le Monopoly, Le jeu Loups Garous a été largement détournée de son contexte d’émergence : certain ont essayé de mettre la main dessus, de se nommer auteur et aujourd’hui il n’existe principalement que par ses éditions marchandes qui réussissent à imposer avec plus ou moins de succès leurs monopoles commerciaux. C’est devenu un jeu de société moderne.

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